Texte indépendant : Jeux d’échecs

Sous couvert de parties d’échecs, une « guerre » se mène entre une divinité joueuse et une ombre aspirant à la divinité ; tordus, chacun manipule ses pions, que ceux-ci en soient conscients ou non.

Jeux d’échecs

Il y a longtemps, j’étais humain. Quelqu’un comme vous qui me lisez. Quelqu’un de normal. J’avais des rêves, des aspirations, des qualités, des défauts, des peurs et des hantises. Mais cela fait maintenant plusieurs centaines d’années que je ne le suis plus. Et, je dois vous l’avouer, en tout ce temps, on se lasse rapidement. On a l’impression d’avoir tout fait, et on en arrive à un niveau où tout nous semble fade, même les nouvelles inventions de la jeunesse.
Cependant, il y a toujours une chose qui réussit à éclairer mes journées. C’est un jeu. Les échecs. Je cherche régulièrement toutes sortes d’adversaires, et chaque partie dure assez longtemps, est assez palpitante, pour que le temps passe rapidement. Au début, les ennemis se succédaient, même si c’était palpitant, je croyais que comme toujours, ça finirait. Mais depuis quatre cents ans, je joue toujours la même partie. Long, n’est-ce pas ?
Mon adversaire est retors. La fourberie incarnée, quelqu’un que je ne recommanderais pas aux simples humains. Lui et moi n’avons cependant pas besoin de nous menacer. Tout est affaire d’intérêt. Il souhaite quelque chose de moi, je souhaite quelque chose de lui, ainsi, nous jouons en pariant et ajoutant nos propres règles.
Pour la première fois depuis que je ne suis plus humain, je vois la fin de la partie arriver en ma défaveur. Il ne me reste que mon roi, symbolisé par moi-même. Mes autres pièces sont tombées. Je suis donc « seul » aux commandes. Je n’ai pas vraiment peur, il ne lui reste que cinq pièces.
Impossible de gagner, cependant, avec les règles conventionnelles, mais je suis retors également.

Je souris, regarde le sombre individu qui m’affronte et lui fait part de mon idée.

– Voyons voir. J’ai perdu mes pièces. Tu sais que pour ta prochaine partie, tu as une limite de temps. Tu sais que tu ne pourras la commencer sans avoir fini celle-ci. Alors voilà ce que je te propose. Mon roi devient ton pion. En échange, tu me laisses rassembler un nouveau groupe de pièces. Qu’en dis-tu ?

Il accepte et la partie reprend alors. Mon nouveau roi est symbolisé par quelque chose de bien étrange. Un drapeau. J’ai avec lui une armée entière de pièces, mais il ne reste à mon adversaire que six pièces en comptant son roi.
Je commence alors mon attaque. Elle est difficile, mais en faisant attention et forçant mes pièces à attaquer de manière coordonnée, je commence à éliminer les pions de mon adversaire. De choix, ils sont cependant peu nombreux. Ma force est celle du nombre et de la réflexion. En tant que pion de mon adversaire, j’attends mon moment. Enfin, sa reine tombe. L’action est alors logique, je deviens sa reine. Je commence à repousser mes propres pions, mais en sacrifiant ma nouvelle reine, j’élimine mon propre pion. Je souris à mon adversaire et entame alors l’assaut final.
Tous mes pions restants entrent dans son territoire. Il ne lui reste plus que deux pièces, son roi et une tour. Il invoque une armée de pions, mais ils ne font que pâle figure face à la mienne. Le moment de la fin approche. Je place mon dernier coup, et enfin, alors que son roi s’effondre, je le regarde une dernière fois.

– Aussi fourbe que tu sois, aussi fort que tu sois. Ton erreur fut ton avidité pour mon roi. Tu as échoué, mais je t’en remercie. Cette partie aura été la plus amusante que ma « vie » m’ait donnée. Merci, sombre ami. Adieu, sombre ennemi.

Défi musical : Rêves Indomptables

Écrit peu après « Je te décevrai », celui-ci m’avait déjà bien plus inspiré. Pour un peu de contexte, celui-là suit la vie d’Asina Hass, une « jeune » assassine au service de la famille dirigeante d’un syndicat du crime, qui est en réalité une ancienne dirigeante de celui-ci, maudite, transformée en enfant, conditionnée et ré-élevée par les assassins de son amant passé. C’est un de mes premiers travaux sur les émotions à l’écrit. On y trouve normalement deux variations de la même voix ; celle onirique, mature, réelle, et celle réelle, enfantine, factice qu’elle est contrainte à avoir.

Il a été effectué sur Still Here du groupe Digital Daggers !

Rêves Indomptables

La journée va finir, je vais rentrer voir mon grand frère et les autres. La maison est grande, et depuis quelques semaines, on a souvent des invités. A cause de notre nouvelle situation, on ne peut pas vraiment voir tous les autres, mais ceux qui viennent sont très gentils.

Tout d’abord, il y a mon grand frère, Depp. Quelqu’un de jovial. J’arrive à le faire rire presque à chacune de mes actions. C’est lui qui m’a élevée, qui m’a appris à parler, lui qui a toujours pris soin de moi. C’est à lui que je dois ma vie, et donc pour lui que je me bats. Je sais qu’on a « trahi » les autres, et je ne suis pas vraiment d’accord, mais je suis mon frère, et surtout mon père adoptif. Turon, il s’appelle, et c’est vraiment quelqu’un de très souriant. Un homme très gentil, il ne veut jamais que je m’éloigne beaucoup de lui, parce qu’il a peur qu’il m’arrive quelque chose. Souvent, il me lit une histoire avant de dormir, et quand je me blesse, il me soigne. Il est très intelligent, il sait comment gérer beaucoup de problèmes et il est scientifique. Depuis tous petits, il s’occupe de grand frère et moi. C’est lui qui a décidé qu’on allait s’opposer à la famille qu’on servait, parce qu’ils allaient nous faire du mal si on continuait, et qu’ils n’étaient pas très gentils. Ça, c’est lui qui le dit, moi je n’ai jamais vraiment eu de problèmes avec eux, ils agissent un peu comme nous, s’ils étaient méchants, on le serait aussi. Ensuite, il y a un ami de Turon qui passe souvent. Alfonso, il s’appelle. Je crois que c’est son collègue, ami, et supérieur. Un scientifique aussi. Eux deux parlent souvent à un homme qui reste caché dans les ombres et ne me laisse pas approcher. Je pense qu’il est timide.

Il y a aussi Valerio. Lui, c’est une crème. Il passe moins souvent, mais il est très souriant, comme Turon, très gentil avec moi, et ses compagnons animaux sont tout doux. Il me laisse toujours les caresser. Ah, il est cuisinier, je crois. Je ne l’ai jamais vraiment vu faire à manger, mais il a toujours son couteau fétiche sur lui, et je crois que c’en est un de cuisine. Ah, il a amené quelqu’un il y a pas longtemps, une femme super jolie. Je crois que c’est sa cousine. Ah oui, Alfonso, Valerio et elle sont cousins, même, je crois. La femme chante vraiment très bien, j’ai jamais été aussi calme que quand elle le fait.
Tout ce monde à la maison, c’est bien. Mais il y a aussi des soirs où il y a personne. Et ces soirs là, je les adore. Parce que quand il y a personne. Bah je peux filer au lit directement. Chaque nuit, je sais que je fais le même rêve, mais je m’en souviens jamais vraiment. Pourtant, il y a quelque chose de merveilleux dedans, je le sais. Quelque chose qui me tire au coeur.
Ce soir, je rentre, et il n’y a personne. Je retire mes chaussures, j’en profite pour enlever mes vêtements et me diriger vers ma chambre. On vit dans un petit manoir caché dans une montagne. Dedans, je file dans mon lit, je ferme les yeux, et j’essaye de m’endormir.



Une fois endormie, les choses deviennent très différentes. Ma léthargie est une sorte d’éveil, malgré l’absence de mes sens. Je sais qu’il est là, qu’il veille sur moi. J’essaye de l’atteindre, mais jamais il ne se laisse toucher. Je me remémore les souvenirs que nous avons lui et moi. Mais pourtant, chaque fois que j’étends la main vers lui, il se dissipe, comme une illusion. Je ne peux me résoudre à penser qu’il n’existe pas, pourtant. Car il n’y a que la nuit que je puisse être réellement moi. Je m’accroche à mon rêve, espérant que tôt ou tard il essayera de m’atteindre aussi. Chaque nuit, je rêve qu’il est avec moi, et que nous allons enfin nous retrouver. Je rêve que nous soyons encore ensemble, comme avant. Mais à chaque fois, il retourne au sein des ombres. Je serais prête à mourir, pour lui, au fond de moi, quelque chose me le dit. Il y serait prêt aussi.
Quelque chose nous lie. Quelque chose de puissant, de beau, de merveilleux, et de mystérieux. Je l’aime, je le sais, et lui continue de veiller. Je me sens en sécurité, mais en même temps je le sens en danger. Quelque chose cloche, je tente de nouveau de l’atteindre, mais une fois de plus, il m’échappe.
Être loin de lui, c’est quelque chose que j’ai du mal à supporter. J’aime le soutenir, j’aime être là pour lui, je sais que je n’ai pas besoin de plus, et pourtant, je ne peux même pas faire ça.
Je me souviens des jours heureux. Je me souviens des jours malheureux. Je me souviens des jours sanglants. Je me souviens du désespoir. Mais aucune haine ne me vient. Je ne peux que le considérer lui, et réessayer. Il faut que je l’atteigne, il faut que je le protège, maintenant. Comment ferai-je ? Les larmes me viennent, car je réalise mon impuissance, je réalise qu’il s’éloigne de moi. Je réalise que ce n’est peut-être qu’une futilité, mais en même temps, je ne peux pas arrêter de m’y accrocher.

Mais cela n’arrive que dans mes rêves. Chaque matin, j’oublie tout. Ce que j’ai ressenti, ce que je ressens, ce que je ressentirai. Il ne me reste à chaque fois que le bonheur de sa présence, le malheur de son absence, et mon coeur qui menace de sortir de ma poitrine. Je ne suis plus moi-même, au réveil.
Et pourtant, chaque nuit, j’y retourne. J’espère qu’un jour, il me répondra. J’espère qu’un jour, je lui reviendrai. Lui qui sera toujours à mes côtés. Lui qui veille sur moi dans mes rêves. Lui dont l’existence fait de moi une femme heureuse.



Et voilà, encore un réveil pareil. Mal au ventre, mal aux épaules, je me sens mal, mais en même temps je me sens bien. Je sais qu’il faut que je dorme plus, quelque chose me dit que je me souviendrai de mes rêves, si je dors assez. Mais Depp crie « Asi, amène ton cul en bas ou je te latte la gueule, on a des invités. » J’entends Turon le frapper, et je descends. La journée commence à nouveau.